Par Aymeric Marchal (à Cardiff) de L’Equipe :
LES RAISONS D'UN SUCCÈS
Le XV de France a donc réussi un authentique exploit en éliminant les All Blacks samedi à Cardiff. Les Bleus ont construit leur victoire sur les fondements du rugby, et ont surtout montré une envie incroyable pour renverser les favoris néo-zélandais, même après une première période difficile. Voici les raisons majeures qui expliquent cette performance historique.
La défense
Les chiffres donnent le tournis. Les Français ont effectué la bagatelle de 178 plaquages pendant la rencontre, avec un taux de réussite de plus de 90% (pour 19 manqués), un chiffre record qui montre bien l'incroyable énergie qu'ils ont déployé pour repousser les assauts néo-zélandais. Les Bleus avaient choisi de laisser les Blacks venir, avant de les repousser au pied pour les maintenir le plus possible dans leur camp. Ils n'ont pas toujours réussi à les priver de ballons, et ils ont quand même assez largement subi : avec seulement 28% de possession de balle et 38% d'occupation du terrain, ils ont passé beaucoup plus de temps à défendre qu'à jouer (les Néo-Zélandais n'ont effectué « que » 36 plaquages, pour 11 manqués). Mais le mur français a tenu bon, malgré quelques erreurs au centre du terrain, notamment en première période où McAlister a perforé à deux reprises le rideau tricolore. La fin du match est à ce titre exemplaire : les Bleus ont passé leur temps à plaquer et à défendre leur ligne, avec une férocité admirable. On avait l'impression que les All Blacks auraient pu attaquer encore longtemps avant de franchir la ligne. Ils ont d'ailleurs passé plus de neuf minutes dans nos vingt-deux mètres, pour seulement deux essais marqués, ce qui montre bien leur impuissance face à l'agressivité tricolore. La défense est depuis longtemps l'un des points forts de l'équipe de France, et elle a été déterminante dans la victoire à Cardiff. C'est un élément de base dans le jeu, et avec une organisation aussi performante, les Français peuvent continuer à rêver d'autres victoires dans cette Coupe du monde. Ils ont tout simplement muselé la meilleure attaque de la coupe du monde jusque-là (46 essais), et sans doute la meilleure du monde intrinsèquement. Derrière cette grosse performance, il faut souligner aussi l'excellente condition physique des Français, qui ont bien tenu le coup jusqu'au bout, malgré un passage à vide entre la dixième et la vingtième minute. Le gros boulot foncier effectué pendant les deux mois de préparation paye.
La discipline
Il est loin le temps où les Bleus perdaient des matches à cause de leur indiscipline et des nombreuses fautes concédées. A Cardiff, c'est au contraire leur discipline et leur rigueur qui leur ont permis de rester dans le match dans une première période difficile, puis de prendre le dessus dans un deuxième acte de folie. Les Français n'ont été pénalisés que deux fois en 80 minutes, soit un chiffre très faible à ce niveau, surtout avec une telle débauche d'énergie, notamment en défense. Les Bleus ont été mis à la faute deux fois sur des rucks, et puis c'est tout (deux fautes qui ont tout de même coûté six points). Le reste du temps, leur minutie et leur intelligence leur a permis de se défaire de toutes les situations sans enfreindre les règles. Dans leur volonté initiale de ne pas rendre le ballon aux Blacks, de ne pas leur donner des munitions, cet aspect a été prépondérant. A titre de comparaison, leurs adversaires ont été sanctionnés à neuf reprises, soit quatre fois plus.
La solidarité
Tous les joueurs français l'ont répété à la sortie des vestiaires : c'est le mental qui leur a permis de renverser la vapeur après une première demi-heure très compliquée. Ils n'ont jamais flanché, jamais douté, même à 13-0, alors qu'ils semblaient déjà manquer d'air, ils l'ont d'ailleurs confirmé eux-mêmes. Mais cette équipe de France avait à Cardiff un cour énorme, un supplément d'âme qui l'empêchait de quitter « sa » Coupe du monde comme ça, loin chez elle. Les Bleus se sont accrochés, ont été héroïques dans l'engagement, et ont fini par faire plier leurs adversaires. Les dernières minutes du match sont à ce titre éloquentes : les Blacks faisaient le siège de nos 22 mètres, enchaînant jusqu'à 24 temps de jeu, sans jamais trouver la solution. Bernard Laporte rappelait dimanche matin que le rugby est d'abord un sport d'engagement, et qu'on ne gagne pas un match sans respecter les valeurs fondamentales de ce sport. Ses joueurs se sont donc appuyés sur le courage et la solidarité pour refuser de mourir en terre galloise. Là encore, si les Bleus gardent cet état d'esprit et cette humilité, ils peuvent aller loin dans ce tournoi.
Un point noir, la touche
Au milieu de ce concert de louanges, il faut quand même s'arrêter sur ce qui n'a pas fonctionné. La France a connu de grosses difficultés en touche, pourtant sur l'un de ses points forts et un élément de base de la mise en place de son jeu. Cette faillite inquiète (cinq ballons perdus, c'est beaucoup trop), et il ne faudra pas se louper dans ces phases de conquête contre les Anglais. On pensait pourtant les Néo-zélandais moins forts que les Bleus dans l'alignement, moins armés. Ils ont été très intelligents en venant contrer, souvent par Ali Williams, les lancers tricolores par derrière. Au lieu de jouer le ballon par le même sauteur que les Français, ils intervertissaient au dernier moment pour déstabiliser les lancers. Laporte explique : «ils nous ont bien pris. Ils ont du bien travailler notre touche et venaient de derrière, notamment Ali Williams, pour contrer nos ballons. On aurait dû jouer en fond de touche sans doute.» Il faudra retrouver l'efficacité dans ce secteur face à l'alignement anglais, qui a mis au supplice son vis-à -vis australien.
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