Une chambre d'hôtel de Clermont Ferrand, le 10 décembre 1977, au soir d'une victoire sur la Roumanie. Jacques Fouroux est allongé sur son lit. Jean Liénard, son confident, son maître, est assis sur une chaise un peu à l'écart. Comme un ami venu rendre visite à un malade. Jacques téléphone, comme toujours. Il parle avec sa mère, sa soeur, puis sa femme. Il hoche la tête d'un air entendu. « Ils m'ont encore taillé à la télé, cet après-midi. Hein ? interroge-t-il. Bien sûr, toujours le même refrain. La passe, l'absence de jeu à la main... Très bien, ils ne le feront plus. »
Jacques raccroche et fait face. Il plonge ses yeux bleus dans ceux des rares journalistes admis dans la pièce et vide son sac. C'est décidé, c'est irrévocable, il arrête. Il ne supporte plus les critiques et les sarcasmes accompagnant ses gestes de bagarreur. Il n'a même plus envie de répondre en riant à Pierre Salviac « qu'il n'y a pas de sot métier », lorsque celui-ci lui lance en direct qu'il a « une passe de maçon ». Non, il dit quitte et tire un trait sur une belle aventure. Celle du grand chelem de 1977. Une aventure d'hommes, de durs à cuire et de forts en tronche, celle qui donna naissance à l'appelation « groupe » depuis tant galvaudée.
Ils étaient quinze au départ, ils sont quinze à l'arrivée, soudés comme un seul autour d'un petit bonhomme qui retroussse ses manches façon déménageur et rabat ses chaussettes sur des mollets surpuissants. Un demi de mêlée aboyeur qui chante la Marseillaise à tue-tête, n'a peur de personne au placage et crochète comme un écarteur. Il fait ricaner les puristes avec sa passe flottante qui tarde à rejoindre les bras de Jean-Pierre Romeu, son ouvreur-copain, mais force le respect de tous par sa hargne et sa soif de gagner de petit coq qui en veut à la terre entière et même au Bon Dieu.
Cour d'école. Parce qu'il ne l'a pas fait grand et beau et qu'il a surtout mis sur sa route un félin de savane qui ondule derrière le pack des éléphants de l'AS Biterroise, Richard Astre. Pour s'imposer aux côtés des grands, Jacques doit se battre tous les jours, comme dans la cour de l'école d'Auch. Alors il gesticule, râle et vocifère, mais insuffle une force terrible à ses partenaires. Surtout aux avants, à ses « gros » qu'il vénère mais qu'il sait faire pleurer comme des gosses dans un vestiaire à l'heure de partir à la guerre, avec des mots simples d'amour, de famille et de patrie.
Dans le car qui amène l'équipe de France au stade, l'immense Jean-Pierre Bastiat vient s'asseoir à côté de Jacques et fait le voyage la main posée sur le genou de son capitaine, pour se rassurer, prendre confiance. Dans le petit vestiaire de l'ancien Arm's Park de Cardiff, Gérard Cholley explose le plafond d'un coup de poing et se fracture trois phalanges, histoire de lâcher un peu de vapeur après le remontage de pendule du « petit caporal ».
Pour Fouroux, Cholley se ferait tuer sur place. Comme Jean-François Imbernon et Michel Palmié, les deux autres monstres du pack de 77. Avec sa garde de fer, « la horde sauvage » disaient nos aimables confrères britanniques, Fouroux ne risque rien. Pourtant, il abdique ce soir de décembre 77, après 27 sélections dont 21 en tant que capitaine du XV de France. Il terminera sa carrière avec le FC Auscitain, en forme de retour aux sources, puisque c'est à Cognac et La Voulte qu'il avait passé l'essentiel de sa carrière.
« Gros pardessus ». Fini Fouroux ? Non, il ne tarde pas à rebondir. Guy Basquet et Albert Ferrasse, qui avaient toujours apprécié l'homme au-delà du joueur, savent comment le faire revenir en scène. Adoubé candidat en 1980 pour des élections au Comité d'Armagnac-Bigorre, l'échec est cinglant, comme pour le regretté Robert Paparemborde en Béarn. Qu'à cela ne tienne, Jacques et Patou sont promus dans le comité directeur de la FFR en tant que sportifs de haut niveau. A 33 ans, Fouroux change de famille et entre dans celle des « gros pardessus ».
Mais il ne vient pas jouer au poker et fumer le cigare. Très vite, on le retrouve en survêtement aux côtés de Jean Piqué, pour entraîner le XV de France, avec la même hargne et la même envie de règler des comptes avec ceux qui ricanaient dans son dos de joueur. Et les résultats suivent encore. Victoires dans le Tournoi, grands chelems, une place de finaliste à Auckland pour la première Coupe du monde de l'histoire en 1987...
L'équipe de France est tout de même agitée par quelques « soubresauts fourouxiens ». Le temps d'une cabale contre Didier Codorniou, attaquant surdoué mais ne possèdant pas les mensurations et les vertus guerrières si chères à celui qui oubliait qu'il avait été le plus petit demi de mêlée de l'histoire tricolore, avec ses 1,62 mètre. Ou l'espace de quelques formules assassines contre Pierre Villepreux ou autres hauts dirigeants fédéraux. Ca ne s'inventait pas, c'était du Fouroux et c'était souvent très drôle, sauf pour celui qui se retrouvait sous la mitraille du Gascon.
Charmeur, baratineur. Mais l'homme ne saurait être résumé par quelques saillies verbales. Jacques Fouroux fut l'un des premiers à comprendre comment les rugbymen pouvaient sortir du cercle pseudo-vertueux du faux amateurisme, les condamnant à rester tenancier de bistrot, gardien de stade ou prof de gym. Avec Jean-Pierre Rives, puis Jean-Luc Joinel et Serge Blanco, il profita de l'ascenseur social, mais sans oublier les autres. Il savait présenter ses poulains et subjuguer des PDG médusés par cet incroyable personnage, capable aussi bien d'écrire des poèmes en alexandrins que de jouer les pickpockets en subtilisant une montre au poignet de son interlocuteur.
C'était Jacques, un charmeur, un baratineur. Jamais les nuits n'étaient assez longues pour tenter de séduire et de retourner un détracteur. Il semblait si fort et tellement couvé par Tonton Ferrasse qu'une voie royale s'ouvrait devant lui. C'était écrit, un jour il serait président de la FFR. Et puis tout bascula, par précipitation, par maladresse. D'une aventure ridicule avec les treizistes, à un dernier séjour comme coach en Italie, la fin du parcours fut tragiquement cahotique. Mais jamais le monde du rugby n'oubliera ce gagneur et ce meneur d'hommes, le capitaine de 1977. Jacques vient encore un fois de faire pleurer les « gros ».
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