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La viande du marsupial est exportée par l'Australie dans une soixantaine de pays, au grand dam des protecteurs des animaux.
Le kangourou au goût du jour
Par Florence DECAMP
QUOTIDIEN : samedi 19 mai 2007
Sydney de notre correspondante
«La poêle doit être extrêmement chaude ! Je dirais même incandescente ! C'est la technique du chef pour réussir la cuisson du kangourou. Bon appétit !» Sur la table, le serveur a déposé le steak encore fumant et s'en est retourné aux cuisines de ce restaurant de Newton, un des quartiers les plus new age de Sydney où les boucheries sont si discrètes que l'on imaginerait facilement ses habitants végétariens. «Pas vraiment, sourit Mark en attaquant son steak. Mais le kangourou est la seule viande que je mange. Je refuse de consommer des animaux importés, inadaptés à l'environnement australien, tels le boeuf et le mouton, dont l'élevage dégrade le sol. Le pays est à l'agonie, et nous commençons seulement à découvrir l'ampleur de la catastrophe.» Pour transformer, dès le début de la colonisation, les terres australiennes en pâturages britanniques, des générations de fermiers et d'éleveurs ont déboisé les forêts, vidé les rivières, provoqué la salinisation et la désertification des sols, épuisé un continent dont les ressources semblaient infinies.
Bon usage. La sécheresse qui ravage l'Australie depuis plusieurs années accélère un mouvement amorcé depuis longtemps. Pour les environnementalistes comme Mark, la seule solution est un mode de vie enraciné dans les réalités australiennes. Aller à la source, c'est aussi ce que préconise Mike Archer, patron de la faculté des sciences à l'université du New South Wales, dans son livre Going Native : faire un bon usage de la nature australienne, s'inspirer des techniques aborigènes, intégrer les villes et les villages aux campagnes afin qu'ils cessent d'être un insupportable fardeau pour l'environnement et... manger du kangourou. Ils sont quelque 53 millions de kangourous et de wallabies sur le continent, divisés en 55 espèces dont six peuvent être, selon la terminologie officielle, «récoltées» . A savoir abattues par des chasseurs professionnels d'une balle en pleine tête. Et en pleine nature, précisent ceux qui sont en faveur de la commercialisation de la viande de kangourou et qui estiment que mourir dans le bush vaut mieux que de grandir en batterie comme un poulet ou parquée comme une vache, avant de finir à l'abattoir. Un avis partagé par la branche australienne de la RSPCA, la Société protectrice des animaux, qui estime que «s'il est effectué correctement, l'abattage des kangourous est une des méthodes les moins cruelles pour tuer un animal».
Massacre. Un avis refusé par les activistes australiens d'Animal Liberation actuellement en tournée en Europe et en Russie pour convaincre les populations de renoncer à la viande de kangourou. «C'est le seul moyen de les sauver. Ils se font massacrer par millions. Souvent les kangourous ne meurent pas immédiatement et leur agonie est terrible... Parce que les carcasses ne sont pas toujours immédiatement réfrigérées après que les animaux ont été abattus, la viande est contaminée, impropre à la consommation», explique-t-on à la permanence de Sydney. «Si les carcasses étaient contaminées, il serait impossible de les exporter, chacune d'entre elles est inspectée à l'usine par un inspecteur du service australien phytosanitaire», rétorque Victor Bates, le directeur de Vacik Distributors, une compagnie qui exporte de la viande de kangourou et nommément dénoncée par Animal Liberation.
Dans le restaurant, Mark en a fini avec son steak. «Ici, nous sommes obsédés par la propreté. Nous lavons les huîtres à l'eau douce avant de les manger et nous nettoyons la terre des chaussures des passagers qui arrivent dans les aéroports internationaux par peur des microbes. Je doute fort qu'on exporte de la viande qui ne soit pas saine. Il faudrait être stupide. L'exportation de cuir et de viande de kangourou est un marché qui rapporte de plus en plus d'argent à l'Australie.» 230 millions de dollars par an sans compter les 4 000 emplois générés par cette industrie dans des régions parfois si reculées que chasser le kangourou et creuser le sol pour y trouver des opales restent les seules activités lucratives.
Quota. Au désespoir de Mark, l'Australie, qui exporte de la viande de kangourou dans une soixantaine de pays, demeure encore réticente à l'idée de mettre un des emblèmes nationaux dans son assiette. 60 à 70 % de la production est transformée en nourriture pour chiens et chats. Le reste, destiné à la consommation humaine, est largement exporté. «Mais c'est parce qu'il existe une industrie du kangourou que le gouvernement surveille de près ces animaux.» C'est par avion que s'effectue, chaque année, le comptage des six espèces de kangourous et wallabies qui peuvent être abattues à des fins commerciales. Il permet de fixer un quota qui varie entre 14 et 20 % selon les espèces et les Etats, et qui est censé maintenir un équilibre entre les besoins de cette industrie et la survie des kangourous.
A la fin du XIXe siècle, parce qu'ils étaient considérés uniquement comme des animaux nuisibles, la chasse était ouverte en permanence et encouragée par un système de prime. Depuis l'arrivée des Européens en Australie, six espèces de kangourous ont disparu et sept sont considérées en danger. Aujourd'hui, devenu la mascotte du pays, ce marsupial a révélé qu'il était doté de la viande la plus saine que l'on puisse trouver. Pauvre en matière grasse et en cholestérol, riche en protéines, minéraux et acide linoléique conjugué (ALC) qui possède des propriétés anticancérigènes et antidiabétiques. «Une véritable pharmacie», selon Mark, persuadé que, demain, les kangourous sauveront l'Australie.